Une mission d’information sur le périmètre d’intervention et les compétences des Architectes des bâtiments de France (ABF) été initiée par un groupe d’élus afin de mieux comprendre le rôle et l’organisation des UDAP, ainsi que les difficultés rencontrées aussi bien par les ABF que par les élus et les porteurs de projet dans l’exercice de cette mission de conservation des espaces protégés (notamment abords des MH et site patrimonial remarquable).
En tant qu’association nationale reconnue d’utilité publique, la Demeure Historique a été auditionnée le 21 mai 2024 par le Sénat (lire Mission d’information sur les ABF – Audition de la Demeure Historique par le Sénat du 5 juin 2024) qui a publié son rapport le 25 septembre dernier.
Il contient 24 recommandations réparties en 6 axes :
- Faciliter la prise en compte de la problématique patrimoniale par les élus locaux, pour que les élus s’approprient pleinement les problématiques spécifiques liées à la préservation de l’environnement des édifices patrimoniaux ;
- Améliorer la lisibilité et la prévisibilité des décisions des ABF, pour plus de transparence et pour mieux anticiper les avis qui seront délivrés ;
- Mieux informer le public et les élus sur les problématiques patrimoniales, pour promouvoir le développement d’une réelle culture patrimoniale auprès de tous ;
- Mieux hiérarchiser les missions des ABF pour leur permettre de renforcer leur fonction de conseil ;
- Renforcer l’attractivité du métier d’ABF afin de préserver un corps spécialisé de haut niveau sur le long terme ;
- Tenir compte de la spécificité du bâti ancien dans les politiques environnementales, pour que cet enjeu soit identifié comme une priorité d’action par les politiques culturelles et que les ABF deviennent des pivots en matière de conseils et d’accompagnement
Le rapport met en exergue le rôle primordial de l’ABF, véritable « clé de voute de la préservation du patrimoine paysager », tout en pointant les principaux sujets de crispation liés, selon les rapporteurs, à la variabilité et au manque de prévisibilité des avis, au coût des prescriptions imposées aux porteurs de projet, au manque de pédagogie des ABF ou encore à l’absence de prise en compte des travaux de transition écologique.
La plupart des recommandations nous paraissent satisfaisantes et permettraient une meilleure prise en considération de l’environnement des monuments historiques. En sus de la promotion d’une réelle culture patrimoniale auprès du grand public (scolaires notamment) et des élus, nous pouvons notamment citer les préconisations suivantes :
- Assurer la publicité des avis rendus par les ABF par localisation, grâce à un registre national accessible en ligne et mis gratuitement à la disposition du public. En plus de favoriser la transparence, ceci permettrait de faire de la pédagogie auprès des futurs porteurs de projet qui pourraient consulter les avis rendus à proximité par l’UDAP, qu’ils soient propriétaires-gestionnaires du monument ayant généré la servitude des abords ou non. L’analyse des avis ainsi compilés dans un secteur donné permettrait aussi d’assurer une certaine forme de cohérence dans les prescriptions émises par l’ABF, notamment en cas de désaccord sur ces dernières.
- Recruter au moins un ABF supplémentaire par département. Cette mesure répond à la nécessité de renforcement des équipes sur le terrain, maintes fois mise en exergue notamment par la Demeure Historique et ce, depuis de nombreuses années. Rappelons également que le plan culture et ruralité présenté par la ministre de la Culture le 7 juillet dernier contient une mesure visant à « réarmer l’État local sur les missions liées à l’architecture et au patrimoine » et en proposant de renforcer les effectifs des UDAP de deux ABF au lieu d’un, ce nombre nous paraissant plus réaliste compte tenu des missions des UDAP.
- Nommer un référent en matière de transition énergétique et environnementale au sein de chaque Direction régionale des affaires culturelles (DRAC). Cette proposition portée par la Demeure Historique depuis plusieurs années répond à un besoin essentiel de coordination des politiques publiques au sein des services déconcentrés (DRAC/DREAL). Ce référent pourrait notamment aider à la mise en place de solutions de transition énergétique alternatives au sein des monuments dans le respect de la préservation du bâti ancien.
Afin de mettre en avant le métier d’ABF, et toujours dans cet esprit de pédagogie, le ministère de la culture a lancé le 19 novembre 2024 une campagne de communication nationale « afin de mettre en lumière leur rôle essentiel et archi utile «
A l’inverse de ces propositions encourageantes, deux recommandations nous semblent, sous couvert de simplification, dangereuses et régressives. Le rapport propose en effet de supprimer :
- l’enquête publique diligentée à l’occasion de la création d’un Périmètre délimitée des abords (PDA)* qui n’est pas réalisé simultanément à l’élaboration, à la modification ou à la révision du PLU ;
- la consultation obligatoire du propriétaire ou de l’affectataire domanial du monument historique concerné lors de la création du PDA (avec ou sans modification du PLU).
*Pour en savoir plus sur le régime des abords et les PDA, consulter la fiche technique dans votre espace adhérent
La Demeure Historique tient ici à rappeler les fondements de l’amendement qu’elle avait soutenu en 2016 dans le cadre des débats sur la loi relative à la Liberté de Création, de l’Architecture et du Patrimoine (LCAP). L’association avait initialement demandé une consultation préalable du propriétaire au moment de l’élaboration du projet de PDA, ce dernier étant légitime pour aider à l’identification des espaces concourant à la préservation du monument dont il a la charge. En effet, dès lors qu’un propriétaire-gestionnaire est responsable de la bonne conservation de son monument, indissociable de l’espace qui l’entoure et participant à la mise en valeur des territoires, il est logique et nécessaire qu’il puisse s’exprimer lorsque le périmètre des abords est modifié. Il doit ainsi pouvoir être consulté et entendu, même si in fine l’administration reste décisionnaire. Lors des auditions parlementaires, elle avait obtenu que le propriétaire du monument soit obligatoirement consulté lors de l’enquête publique. Il lui semble impératif que cette consultation soit maintenue. Cela étant dit, afin d’éviter des lourdeurs administratives inutiles et d’éventuels blocages, la Demeure Historique n’est pas opposée à une évolution des modalités de cette consultation, soit en aménageant ses conditions de mise en œuvre, soit en privilégiant une consultation en amont lors de l’élaboration du projet de PDA, ce qui correspondrait à la demande initiale formulée en 2016.
S’agissant des enquêtes publiques, garantes de la démocratie locale participative, la Demeure Historique est également défavorable à leur suppression.
D’une part, elle tient à souligner le caractère paradoxal de cette proposition, à la lumière du rapport d’information déposé en 2019 sur l’évaluation de loi de la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine : « la légitimité de ces nouveaux abords (PDA), du point de vue des citoyens, a été largement accrue par la conduite systématique d’enquêtes publiques. Ainsi, alors qu’aucune enquête publique n’était auparavant prévue lorsque le périmètre automatique était appliqué – tel n’était pas le cas lors de l’établissement d’un périmètre adapté ou lors de la modification des abords – la concertation est ici nécessaire pour l’établissement comme la modification du périmètre des abords, de même que la consultation du propriétaire du monument ». Lire Mission d’évaluation de la loi LCAP – publication du rapport du 5 novembre 2019
D’autre part, nous ne comprenons pas l’esprit de cette recommandation proposant une procédure différente selon que le PDA est créé ou non en dehors d’une procédure de création ou de révision d’un PLU. Le PDA est une servitude d’utilité publique qui in fine aura les mêmes conséquences juridiques pour tous les porteurs de projet. De ce fait, pourquoi certains seraient soumis à enquête publique et d’autres non ? Dans tous les cas, pour des raisons d’équité, la Demeure Historique est plus favorable à la suppression de la possibilité de créer un PDA en dehors de la modification d’un PLU, plutôt que d’avoir un PDA non soumis à enquête publique.
Ces deux recommandations tendent à affaiblir le régime des abords qui souffre déjà d’une remise en cause incessante et d’une très grande instabilité juridique. A titre d’exemple, la loi ELAN a, moins de 2 ans après la loi LCAP, rendu l’avis de l’ABF consultatif pour les installations des antennes relais de radiotéléphonie mobile ou de diffusion du très haut débit. Notons également qu’en marge de ce rapport, un projet de loi de simplification de la vie économique (adopté par le Sénat et déposé à l’Assemblée Nationale en octobre 2024) prévoit en son article 20bis A d’étendre l’ avis facultatif des ABF aux installations photovoltaïques, 2 ans après la publication de la circulaire des ministères de la Culture, de la Transition énergétique et la Transition écologique qui réaffirmait le rôle clé des ABF. L’exception deviendrait-elle la norme ?
La Demeure Historique reste bien évidemment attentive à ces sujets d’importance et poursuit ses actions en faveur du patrimoine.
Consulter le détail de ces recommandations dans le rapport complet et la synthèse sur le site du Sénat